Douleurs neuropathiques
Résumé des recommandations pour le généraliste
- Caractériser la douleur neuropathique: échelle DN4 et examen clinique
- Coter la douleur sur 10 (EN, EVA)
- Prise en charge de première intention des douleurs neuropathiques: duloxétine, gabapentine ou tricyclique
Emplâtre de lidocaïne ou TENS pour une atteinte superficielle localisée. - Efficacité du traitement: essai de chaque molécule au moins 6 semaines à dose maximale tolérée (sauf intolérance) et viser une réduction douleur d’au moins 30% et/ou une amélioration fonctionnelle d’au moins 30%
- Avis neurologique en cas de difficultés (étiologique, thérapeutique …)
- Annuaire des structures spécialisées douleur chronique (SDC)
- Douleur neuropathique
- Douleur secondaire à une lésion ou maladie affectant le système nerveux somatosensoriel (définition IASP). Elle peut être d’origine périphérique ou centrale. Elle est chronique quand elle persiste plus de 3-6 mois.
- Impact important sur la qualité de vie avec coût socio-économique majeur (7-10 % des adultes).
- Polyneuropathie diabétique douloureuse (NDD)
- Atteinte des petites fibres: le test au monofilament et l’électromyogramme peuvent être normaux. Elle doit être systématiquement recherchée.
- Le diagnostic est clinique: caractères neuropathiques et atteinte des petites fibres (diminution de la perception de la piqûre et/ou chaud/froid), allodynie au tact ou au frottement. Pas d’intérêt de l’EMG sauf forme atypique. Atteinte des grosses fibres plus tardive.
- Elle doit être différenciée de la polyneuropathie chronique sensitivo-motrice (PCSM) distale des grosses fibres, symétrique et peu symptomatique objectivée par le test au monofilament 10g (+ diapason et coton) qui est un marqueur de pied à risque.
- L’amélioration de l’équilibre glycémique n’améliore pas les douleurs neuropathiques.
- Prévalence: 20% en DT2, 5% en DT1
- Allodynie
- Douleurs provoquées par une stimulation normalement non douloureuse.
- Dysesthésie
- Sensation anormalement désagréable, spontanée ou provoquée.
- Hyperalgésie
- Douleurs anormalement intenses provoquées par une stimulation douloureuse (avec diffusion dans le temps et l’espace).
- Hyperesthésie
- Sensation exagérée à une stimulation somesthésique (mécanique, thermique, douloureuse), à l’exception des stimulations sensorielles spécifiques. Ce terme englobe l’allodynie et l’hyperalgésie.
- Paresthésie
- Sensation anormale désagréable, spontanée ou provoquée, douloureuse ou non. Les dysesthésies font partie des paresthésies.
Abréviations
- AE
- antiépileptique
- DN
- douleur neuropathique
- ENMG
- électroneuromyogramme ou électromyogramme (EMG)
- IASP
- Neuropathic Pain Special Interest Group of the International Association for the Study of Pain
- IRSNA
- inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline
- SDC
- structures spécialisées douleur chronique (centres experts de la douleur)
- SFD
- Société Francophone du Diabète
- SFETD
- Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur
- TENS
- transcutaneous electrical nerve stimulation, stimulation électrique transcutanée
Diagnostic différentiel de douleurs neuropathiques selon la localisation de la douleur:
- AOMI
Douleurs quand sténose > 70%. - Mononévrite
Unilatérale, systématisée (ex cruralgie). - Syndrome canalaire
Névrome de Morton ++ - Canal lombaire étroit Généralement lombo-sacrée, uniquement à la marche et aggravée par celle-ci avec un périmètre réduit.
- Syndrome des jambes sans repos
- Insuffisance veineuse
- Arthropathie
- Myalgie
Avis neurologique devant toute douleur neuropathique dont l’étiologie ou le tableau n’est pas raisonnablement explicable
Interrogatoire et examen
- Antécédents
Chirurgicaux, traumatiques, sciatique, diabète (ancienneté), zona, SIDA, piqûre de tique, maladie de système, AVC, SEP, séjours tropicaux prolongés, exposition aux métaux lourds … - Antécédents familiaux de neuropathie
- Traitements neurotoxiques
Radio-chimiothérapie, isoniazide, métronidazole, éthambutol, nitrofurantoïne, colistine, dapsone, traitement antipaludéen, antirétroviraux… - Alcool, tabac, toxiques
- Topographie nerveuse systématisée
- Apparition et évolution des douleurs
- Caractères douloureux
- Circonstance de déclenchement
- Fond continu
- Prédominance au repos et la nuit
- Paroxysmes: décharges électriques, coups de couteau
- Brûlures, froid douloureux
- Étau, compression, torsion
- Paresthésies
En l’absence de stimulation: picotement, fourmillement, démangeaison, engourdissement. - Dysesthésies (contact des draps…)
- Questionnaire ou échelle DN4
- Examen neurologique anormal avec signes sensoriels du même territoire
- An/hyper/hypoesthésie
- Trouble de la sensibilité vibratoire
- Hypo/hyper/analgésie, allodynie
- Échelle de douleur (EVA, EN)
- Troubles neurovégétatifs locaux
- Sudation
- Troubles trophiques
- Traitements essayés
Substance, posologie, durée, tolérance, efficacité. - Professionnels impliqués
- Environnement pro-socio-économique
- Qualité de vie
Rappels de l’examen clinique de la neuropathie
Stimulus | Fibres | Examen clinique | EMG |
---|---|---|---|
Froid | Aδ | Tube chaud et froid | Normal |
Chaud | C | ||
Chaud douloureux | C, Aδ | ||
Froid douloureux | C, Aδ | ||
Tact | Aβ | Monofilament 10g | Anormal |
Vibration | Aβ | Diapason | Anormal |
Frottement | Aβ | Coton | Anormal |
Piqûre | Aδ, C | Aiguille | Normal |
Pression | Aδ, C | Doigt | Normal |
Bilan devant des douleurs neuropathiques
- Glycémie à jeun
- NFS
- CRP
- ASAT, ALAT, GGT
- Créatininémie et DFG
- TSH
Sauf étiologie évidente.
Électroneuromyogramme (ENMG)
Uniquement sur avis du neurologue.
Traitements des douleurs neuropathiques de première intention ou ayant un niveau de preuve satisfaisant en 2020 chez l’adulte:
- Antidépresseurs
- IRSNA
Duloxétine > venlafaxine. - Tricycliques
- IRSNA
- Antiépileptiques
- Gabapentine
- Prégabaline (preuves faibles)
- Opioïdes forts (morphine et oxycodone LP) et tramadol (recommandation faible)
Tapentadol (faible) non disponible en France. - Traitements topiques
Recommandation faible.- Emplâtres de lidocaïne 5%
- Patchs de haute concentration de capsaïcine 8%
- Toxine botulique type A (recommandation faible)
- Associations thérapeutiques
Recommandation faible.- Antidépresseur (IRSNA ou tricyclique) + antiépileptique (gabapentine voire prégabaline)
- Antidépresseur (IRSNA ou tricyclique) + morphine
- Antiépileptique (gabapentine voire prégabaline) + morphine
- Neurostimulation électrique transcutanée (TENS, recommandation faible)
- Stimulation magnétique transcrânienne répétitive à haute fréquence du cortex moteur primaire (rTMS)
- Radiofréquence pulsée (PRF, recommandation faible)
Limitée aux douleurs postzostériennes thoraciques. - Stimulation médullaire (preuves faibles)
Limitée aux douleurs radiculaires chroniques post-chirurgicales et diabétique. - Psychothérapie
En complément des traitements pharmacologiques.- Thérapie cognitivo-comportementale (TCC)
- Thérapie de pleine conscience
- Personne âgée: thérapie de pleine conscience
SFETD 2020
Traitement des douleurs neuropathiques en pédiatrie
Amitriptyline 10 mg/j et gabapentine 900 mg/j avec la même efficacité sans effets indésirables majeurs.
- Liste des structures spécialisées douleur chronique (SDC)
- Informer sur les risques pour la conduite automobile
- Manque d’efficacité de la prise en charge: réduction de la douleur < 30% et/ou amélioration fonctionnelle < 30% après ≥ 6 semaines à dose maximale tolérée
Molécules de première ligne pour la prise en charge des douleurs neuropathiques selon la localisation et l’étendue des zones douloureuses.
Douleur neuropathique périphérique focale
- Emplâtres de lidocaïne 700 mg (Versatis®) 1 à 3 selon la superficie de la zone, 12 h/j.
Effets indésirables: irritation cutanée, allergie. - TENS
Prescription uniquement par un centre de la douleur chronique.
Douleur neuropathique périphérique focale en deuxième intention
- Capsaïcine en patchs de haute concentration à 8% (Qutenza®). 1–4 patchs selon la superficie.
Appliquer 30 minutes sur les pieds et 60 minutes sur les autres zones du corps.
Effets indésirables: HTA, sensation de brûlure initiale (appliquer du froid), rougeur, œdème. - Toxine botulique type A
Injections uniquement par un centre de la douleur chronique.
Douleur neuropathique périphérique ou centrale, focale ou diffuse
Duloxétine 30 mg/j pendant 7-14 jours. Puis 60 mg/j. Max 60 mg x 2/j.
Gabapentine 100 mg x 3/j pendant 3 jours. Paliers de 100 - 300 mg tous les 7 jours. Max 3600 mg/j
Clomipramine 10 mg le soir. Paliers de 10 mg tous les 7 jours. Avis spécialisé au-delà de 50 mg/j.
Traitements des douleurs neuropathiques de référence:
- IRSNA
- Duloxétine 60-120 mg/j (Cymbalta®, gén) en 1-2 prise/j
- Venlafaxine LP 150-225 mg/j en 2-3 prises/j (débuté 37,5 mg/j, paliers +75 mg/sem, ECG et pression artérielle)
- Contre-indications: IHC, IRC sévère, glaucome, ciprofloxacine
- Effets indésirables: somnolence, nausées, vertiges, constipation, xérostomie, impuissance, anorexie. Levée d’inhibition avec risque suicidaire.
- Gabapentine 1200-3600 mg/j (Neurontin®, gén) en 3 prises/j
- Ordonnance sécurisée (rechercher un mésusage) | arrêt progressif | peu d’interactions
- Effets indésirables: somnolence, vertiges, prise de poids et œdèmes périphériques
- Antidépresseurs tricycliques
- Amitriptyline (moins bien tolérée), clomipramine (Anafranil®, gén), imipramine (Tofranil®)
- Préférer 10-50 mg/j. Avis spécialisé à +50 mg/j. Surveillance cardiaque quand +75 mg/j
- Contre-indications: glaucome, HPB, infarctus récent ou troubles du rythme
- Effets indésirables: somnolence et prise de poids, anticholinergiques. Levée d’inhibition avec risque suicidaire
- Surveillance: cardiaque, anticholinergique, hypotension orthostatique, impuissance
Traitements des douleurs neuropathiques de 2e intention
- Prégabaline 150-600 mg/j (Lyrica®, gén) en 2-3 prises
- Ordonnance sécurisée d’une durée maximale de 6 mois | peu d’interactions
- 75 mg x 2/j, paliers de 150 mg tous les 3-7 jours
- Effets indésirables: somnolence, asthénie, vertiges, troubles digestifs, xérostomie, céphalées, prise de poids et œdèmes périphériques
- Tramadol LP 100-400 mg/j en 1-2 prises
Peut être associé avec des antiépileptiques mais pas les tricycliques (épilepsie). Utilisation avec prudence en association à des antidépresseurs à forte posologie (syndrome sérotoninergique). - Association tricyclique 25-75 mg/j ou duloxétine 60 mg/j
+ gabapentine 1200-1800 mg/j ou prégabaline 150-300 mg/j - Thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et thérapie pleine conscience
En association avec les autres traitements.
Traitements des douleurs neuropathiques de 3e intention
Prise en charge, prescription et réalisation uniquement en centre de la douleur chronique.
- rTMS et stimulation médullaire
- Morphine et oxycodone LP
- Les opioïdes forts ne doivent être proposés qu’en l’absence d’alternatives
- Max 150 mg éq. morphine/j
- Combinaison opioïde + antidépresseur ou gabapentinoïde
“Effets indésirables”: sous-entendu, effets indésirables principaux.
Les opioïdes forts ne doivent être proposés par un spécialiste de la douleur qu’en l’absence d’alternatives
graph TB accTitle: Conduite à tenir pour la prise en charge des douleurs neuropathiques d'après SFETD 2020 DN["Douleur neuropathique
—
- Caractères
- Questionnaire DN4
- Bilan étiologique"] style DN stroke:#4150f5, stroke-width:1px DN --> localisee(DN périphérique localisée) --> locLigne1(Emplâtres de lidocaïne) locLigne1 -. 2e intention .-> TENS("Consultation douleur
pour TENS") -. Échec .-> centre(Centre de la douleur) locLigne1 -- ou --> autreLigne1 DN --> autre(DN centrale
ou localisations multiples) --> autreLigne1("- Duloxétine
- Gabapentine
- Tricyclique") autreLigne1 -. 2e intention .-> autreLigne2("- Prégabaline
- Tramadol
- Antidépresseur
+ gabapentinoïde") -. Échec .-> centre
Essai de chaque molécule ≥ 6 semaines à dose maximale tolérée (sauf intolérance) et vise réduction douleur ≥ 30% et/ou amélioration fonctionnelle ≥ 30%.
Psychothérapie associée dès la 2e ligne de traitement.
Bilan étiologique par le neurologue en cause non évidente.