Goutte
Hyperuricémie, arthropathie uricémique
Résumé des recommandations pour le généraliste
- Prise en charge de la crise de goutte
- Glaçage, paracétamol, naproxène/corticoïdes ou colchicine, forcer la diurèse
- Privilégier l’infiltration en monoarthrite de grosse articulation
- Traitement de fond de la goutte
- Allopurinol: titration en débutant ≤ 100 mg/j avec uricémie cible < 50 mg/L et couverture colchicine 0,5 à 1 mg/j pendant les 3 à 6 premiers mois
- Peut être débuté pendant la crise
- Régime pauvre en purines
Perte de poids, arrêt de la bière, réduire alcool/sodas/jus, viandes/abats, crustacés, laits maigres, substituer un diurétique. - Contrôle des facteurs de risque cardiovasculaire
- Éducation thérapeutique et observance
- Goutte
- Rhumatisme inflammatoire le plus fréquent dans le monde, surtout chez l’homme âgé. Elle est la conséquence d’une hyperuricémie chronique avec dépôts articulaires de cristaux d’acide urique.
- La goutte appartient à la famille des arthropathies microcristallines par dépôts de cristaux d’urate de sodium (monosodique dit UMS) dans les articulations. Ces derniers provoquent des arthrites aiguës (souvent monoarthrite fixes), récidivantes et de résolution spontanée.
Sa prévalence est de 0,9 à 2,5% selon les pays, en augmentation. - Complications de la goutte: tophus, arthropathies uratiques, colique néphrétique, lithiases uriques radiotransparentes, néphropathie goutteuse.
- Tophus
- Dépôt tissulaire de cristaux d’acide urique entouré de cellules inflammatoires lors de chronicité de la maladie.
Les tophi sont localisés autour des articulations atteintes par la goutte et préférentiellement oreille (pavillon et hélix), bursite olécrânienne, tendon d’Achille et patellaire, inter-phalangienne distale ou pulpe digitale. - Allopurinol
- Médicament hypo-uricémiant utilisé trop largement.
Il est la première cause survenue de toxidermies bulleuses graves en Europe.
La mortalité est de 20-30% et 60% de ces accidents sous allopurinol surviennent chez des patients qui n’ont aucune indication au traitement.
Diagnostic différentiel d’une arthrite goutteuse
- Chondrocalcinose articulaire
- Arthrite septique
- Rhumatisme psoriasique
- Poussée d’arthrose
- Polyarthrite rhumatoïde
Abréviations
- ACR
- American College of Rheumatology
- DFGe
- débit de filtration glomérulaire estimé
- EULAR
- European League Against Rhumatism
- SFR
- Société française de rhumatologie
Signes et symptômes de la crise de goutte.
Interrogatoire
- Facteurs de risques cardiovasculaire
Tabagisme, HTA, diabète de type 2, dyslipidémie, obésité, syndrome métabolique. - Traitements en cours
- Médicaments hyperuricémiants
Diurétiques, aspirine, interactions médicamenteuses (biphosphonates), cytotoxiques, ivabradine, ciclosporine, tacrolimus. - Antécédents familiaux de goutte
- Antécédents et comorbidités
Greffe d’organe, colique néphrétique, insuffisance rénale, ulcère gastro-duodénal, infections … - Alcool
- Antécédents de crise de goutte (délai entre 2 crises), hyperuricémie connue, signes radiologiques
- Anamnèse de la crise
- Début brutal avec maximum sous 24h, extrêmement douloureux
- Gonflement et rougeur locale
- Atteint surtout les membres inférieurs
Gros orteil = 1re métatarsophalangienne ou pied/cheville voire genou avec impotence - Sensibilité rapide à la colchicine précoce
Examen clinique
- Poids, taille, IMC
- Articulations, déformations
- Tophi
- Examen cardiovasculaire (pression artérielle, pouls périphériques)
Calcul du risque cardiovasculaire.
Bilan devant une crise de goutte
Le bilan étaie les facteurs de risque cardiovasculaire:
- Créatininémie et DFGe CKD-EPI
- Uricémie
- Glycémie à jeun si facteur de risque ou ≥ 45 ans
- Dyslipidémie selon le terrain
Radiographies articulaires
Radiographies des articulations atteintes au diagnostic pour le diagnostic différentiel.
L’arthropathie uratique est tardive avec géodes, encoches épiphysaires et ostéophytose marginale.
Échographie articulaire
L’échographie peut être utile pour affirmer le diagnostic et étayer le diagnostic différentiel.
Mesures hygiéno-diétetiques en cas de goutte
Ces mesures ont plus d’effets sur le profil cardiovasculaire que sur l’uricémie.
Le discours doit être individualisé et adapté aux comorbidités.
- Correction d’un surpoids
- Réduction de la consommation d’alcool
Bière et spiritueux. - Arrêt des sodas, limiter jus d’orange et de pomme
- Éviter les gros repas
- Éviter les excès en viandes, abats et crustacés (riches en purines)
- Encourager les produits quotidiens pauvres en graisses, le lait écrémé et les yaourts faibles en calories.
Le lait est uricosurique. - Encourager un exercice physique quotidien
- Traitement par diurétique de l’anse ou thiazidique:
Substituer si possible car très uricosuriques, par losartan ou amlodipine. - Traitement par statine:
Préférer la substitution par fénofibrate (hypouricémiant ++). - Éducation du patient itérative
Cause majeure d’échec du traitement (alcool, régime ++). Voir Information du patient.
Médicaments hyperuricémiants
- Aspirine (même à faible dose)
- Diurétiques thiazidiques et de l’anse
- Bêtabloquants
- Ciclosporine, tacrolimus
- Pyrazinamide, éthambutol
Remplacer si possible par hypouricémiants:
Losartan, fénofibrate, atorvastatine, amlodipine.
La prise en charge par traitement de crise doit être la plus précoce possible (< 12 heures), dès les prodromes (auto-médication adaptée aux comorbidités).
Traitement adapté à la tolérance et à l’efficacité passée.
Recommandations pour la prise en charge de la crise de goutte:
- Repos au lit avec immobilisation de l’articulation
- Glaçage de l’articulation
3 fois par jour pendant 10-15 minutes x 3/j (avec protection cutanée). - Paracétamol pleine dose
- Hydratation
Forcer la diurèse à 2-3 L/jour. - Régime hypocalorique (< 2000 kcal/j) et hypo-uricémiant
- Colchicine, AINS et corticoïdes en première ligne
- À prendre dès le début des symptômes, uniquement le temps de la poussée
- ex. Naproxène 750 mg puis 250 mg x 3/j (max 7 jours) (sauf maladie cardiovasculaire)
- Pour colchicine et corticoïdes, voir plus bas
- Envisager un traitement de fond (voir chapitre suivant)
Colchicine
Indication à la colchicine: traitement symptomatique de première ligne. (SFR 2020)
En deuxième intention selon Prescrire® (à la place des AINS).
Colchicine 1 mg per os avec 2e prise de 0,5 mg 1 heure après,
puis 0,5 mg 2 à 3 fois par jour les jours suivants (généralement 3 à 5 jours).
- Réduire/arrêter la dose en cas de survenue de diarrhées
- Débuter si crise datant < 12 heures (à avoir toujours sur soi)
- Diminuer la dose chez l’insuffisant rénal et le sujet âgé
- Adapter la posologie avec certains traitements
Vérifier les interactions avec la colchicine. - Attention à l’association avec les statines (neuro et musculo-toxicité)
- Contre-indiquée si insuffisance rénale sévère, ciclosporine, clarithromycine, vérapamil, kétoconazole
NB. Lors d’un premier accès, elle est aussi utilisée comme test thérapeutique.
Corticoïdes per os
Indications à la corticothérapie: traitement symptomatique de première ligne. (SFR 2020)
En troisième intention selon Prescrire®, en remplacement des AINS et de la colchicine.
Prednisone 20 mg 1,5 cp x 1/j pendant 3-5 jours
Ne pas associer AINS et corticoïdes.
Ne pas utiliser en cas de diabète ou d’HTA déséquilibrés.
Possibilité d’infiltrations de corticoïdes pour une arthrite facilement accessible (ex. genou).
Elles doivent être privilégiées afin d’épargner un traitement général.
Contre-indication formelle si sepsis, intérêt pour confirmation diagnostique.
Inhibiteur IL-1
Prescription initiale d’inhibiteur IL-1 réservée au spécialiste (dermatologue, interniste, rhumatologue).
Traitement de dernier ressort en cas de:
- Contre-indication ou résistance aux AINS
- Contre-indication ou résistance aux corticoïdes
- Contre-indication ou résistance à la colchicine
- ET ≥ 3 crises durant l’année précédente
Canakinumab (Ilaris®) 150 mg SC dose unique. Intervalle de 12 semaines entre 2 injections. Contre-indiqué en cas d’infection active.
Indications au traitement de fond chez le goutteux
Recommandations pour la prise en charge par traitement de fond selon la SFRhumato: à débuter dès que le diagnostic de goutte symptomatique est posé avec cible d’uricémie < 50 mg/L car la goutte est un facteur de risque indépendant de mortalité prématurée.
Pour l’ACR: prise en charge par hypouricémiant fortement recommandé si: ≥ 1 tophus, lésions radiologiques liées à la goutte, ≥ 2 crises/an (dites fréquentes)
ou recommandé pour certains patients ayant déjà eu ≥ 1 crise mais non fréquentes
ou recommandé si DFG < 60, uricémie ≥ 90 mg/L ou lithiase urique.
Objectif du traitement de fond: Prévenir les crises douloureuses et les complications par la dissolution des cristaux d’urate de sodium en maintenant l’uricémie < 60 mg/L (360 µmol/L) au long cours avec cible < 50 mg/L (300 µmol/L).
Contrôle de l’uricémie 1-2/an.
Ne pas descendre l’uricémie sous 30 mg/L au long cours car l’acide urique a un probable rôle neuroprotecteur.
Mise en route du traitement de fond
Informer systématiquement sur la nécessité d’interrompre immédiatement le traitement en cas de réaction cutanée et de consulter immédiatement un médecin
La dissolution des dépôts d’urate expose à des crises de goutte durant les 6 premiers mois du traitement de fond.
L’allopurinol est le traitement de référence mais nécessite une titration pour éviter les toxidermies.
Allopurinol 50-100 mg/j, paliers de 50-100 mg /2-4 semaines jusqu’à l’objectif uricémique (< 50 mg/L, max 900 mg/j) puis au long cours.
Peut être débuté pendant la crise de goutte.
Prévention de crise par colchicine 0,5 à 1 mg/j pendant les 3 à 6 premiers mois (alternatives: AINS, prednisone).
L’ACR recommande la recherche HLA–B5801* pour les personnes originaires d’Asie du Sud-Est (Chine, Thaïlande, Corée) et afro-américains par sur-risque de toxidermie (x3).
La recherche d’HLA n’étant pas remboursée, il est prudent de démarrer à 50 mg avec paliers de 50 mg pour ces personnes.
Traitement de fond privilégié selon la fonction rénale
- Clairance > 60 mL/min/1,73m²
Allopurinol. - Clairance entre 30 et 60
Allopurinol dose réduite ou fébuxostat. - Clairance < 30
Fébuxostat uniquement.
Précisions sur le traitement de fond de la goutte
- Surveillance de l’uricémie 1 à 2/an
- Si fonction rénale altérée:
Utiliser une dose adaptée d’allopurinol jusqu’à 30 mL/min. - Si intolérance digestive:
Tenter de poursuivre le traitement sauf symptômes majeurs.
Envisager l’arrêt du traitement de fond
Selon l’ACR: envisager une diminution ou une réduction après 1 an sans crise et absence de tophi.
Le traitement est long: à 2 ans des cristaux sont encore visibles en imagerie malgré un traitement efficace.
Échec de l’allopurinol
Fébuxostat
Indications au fébuxostat:
- Persistance des crises et cible non atteinte avec l’allopurinol sous régime bien conduit
- Mauvaise tolérance de l’allopurinol
- Insuffisance rénale chronique < 30 mL/min/1,73m² (voire < 60)
Fébuxostat contre-indiqué en maladie cardiovasculaire sévère:
- Infarctus du myocarde
- Angor instable
- AIT/AVC, AOMI symptomatique
- Revascularisation carotidienne/coronarienne
- Diabète compliqué
Arrêt de l’allopurinol et remplacement par fébuxostat (Adénuric®) 40 mg/j puis 40 mg x 2/j au long cours.
NB. Absence d’allergie croisée entre allopurinol et fébuxostat.
Si maladie invalidante et traitements insuffisants: adresser au spécialiste pour introduire la pegloticase.
Probénécide
Uricosurique alternatif, le probénécide (Santuril®) est de maniement délicat (Prescrire Rédaction).
Autre traitement de fond: benzbromarone (Desuric®, retiré en 2008).
La goutte étant une maladie chronique, les points suivants doivent être repris régulièrement:
- Connaissances sur l’automédication des crises
- Fréquence des crises, arthropathie microcristalline, tophus, lithiases uriques
- Biologique
- Créatininémie et clairance CKD-EPI
- Uricémie 1-2/an si traitement de fond
- Surveillance cardiovasculaire
graph TB accTitle: Prise en charge d'une crise de goutte d'après SFR et ACR 2020 crise[Crise de goutte] --> rhd("- Éducation
- Traitement à avoir sur soi
- Envisager hypouricémiant") style crise stroke:#4150f5, stroke-width:1px rhd --> comorbidites("Comorbidités et
coprescriptions") comorbidites -- Sans --> sans("AINS ± IPP
ou colchicine
ou corticoïdes") .-> echec(Échec des possibilités) comorbidites -- IRC sévère --> irc(Corticoïdes) .-> echec comorbidites -- MCV sévère --> mcv(Colchicine
ou corticoïdes) .-> echec comorbidites -- Inhibiteurs CYP3A4/GP --> inh(AINS
ou corticoïdes) .-> echec echec --> spe(Adresser au spécialiste
pour IL-1) rhd -- Monoarthrite infiltrable --> infiltration(Infiltration de corticoïdes)
Légende
ACR = American College of Rheumatology ; MCV = maladie cardiovasculaire
Inhibiteurs CYP3A4/GP = pristinamycine, macrolides…
Colchicine J1 = 1 mg puis 0,5 mg à H1 puis jours suivants 0,5 mg x 2-3/j.
AINS = naproxène 750 mg puis 250 mg x 3/j.
Corticoïdes = 30 mg/j prednisone 3-5 jours.
graph TB accTitle: Prise en charge de la goutte par traitement de fond d'après SFR et ACR 2020 diagnostic[Diagnostic de goutte] --> education("Éducation
—
- Traitement sur soi
- RHD") --> criteres("Critères de traitement
—
- SFRhumato: dès la 1re crise
- ACR:
≥ 1 tophus, lésions radiologiques,
≥ 2 crises/an,
critères annexes (Voir ttt fond)") style diagnostic stroke:#4150f5, stroke-width:1px criteres -- Oui --> clairance(Évaluation clairance et
cardiovasculaire) clairance -- Sans comorbidités --> allopurinol(Allopurinol 50
à 100 mg/j) --> prophylaxie("Associer la prophylaxie:
colchicine 0,5 à 1 mg/j ≥ 3-6 mois
(prednisone si insuff. rénale") clairance -- IRC modérée --> ircmoderee(Allopurinol 50 mg
ou fébuxostat 40 mg x 2/j) --> prophylaxie clairance -- IRC sévère --> ircsevere(Fébuxostat 40 mg x 2/j) --> prophylaxie clairance -- MCV sévère --> mcv(Pas de fébuxostat) prophylaxie -- Titration --> titration("Augmentation par paliers:
- Allopurinol: 50-100 mg/j (max 900)
- Fébuxostat: 40 mg/j (max 120)") titration -- 2 à 4 semaines --> uricemie(Contrôle de l'uricémie
Cible < 50 mg/L) --> titration uricemie -- "< 50 mg/L" --> cible(Cible atteinte
Poursuite à vie) --> surv("Surveillance uricémie 1-2/an et
adaptation du traitement de fond") surv -. Envisager l'arrêt .-> arret("Selon l'ACR:
Envisager arrêt ou réduction
après 1 an sans crise
et absence de tophi") uricemie -- "< 60 mg/L" --> presque("- Maintenir la dose à vie
- Envisager d'autres mesures
hypouricémiantes") --> surv uricemie -- "≥ 60 mg/L" --> hors("- Maintenir doses maximales
- Considérer uricosuriques") --> surv
MCV = Maladie cardiovasculaire
Uricémie cible < 50 mg/L (300 µmol/L)
Éducation du patient goutteux:
- Les douleurs sont causées par les dépôts d’urate de sodium dans les articulations
- Importance du régime et surtout de la réduction de l’alcool
- Arrêt définitif de la bière, même sans alcool
- Limiter le fructose: arrêt des sodas, limiter jus d’orange et de pomme
- Éviter les gros repas
- Éviter les excès en viandes, abats et crustacés (riches en purines)
- Encourager les produits quotidiens pauvres en graisses, le lait écrémé et les yaourts faibles en calories.
Le lait est uricosurique. - Importance de la perte de poids et d’une activité physique quotidienne
- Différence entre le traitement de la douleur aiguë et celui de la maladie métabolique
- Explication du bon usage des AINS ou de la colchicine
- À débuter au plus tôt
- À avoir toujours sur soi
- Intérêt du glaçage articulaire
- Explication de l’objectif de l’allopurinol:
- Seul traitement agissant sur la maladie. Les cristaux d’urate de sodium persistent après les crises.
- Abaisser l’uricémie pour dissoudre les cristaux, en dessous de 360 μmol/l (60 mg/L et 50 mg/L si tophus).
Ce processus est long et ne commence que lorsque la cible d’uricémie est atteinte. - Contrôle de l’uricémie tous les 6 mois puis annuel.
- Le dosage de l’uricémie guide le traitement de fond
- Risque d’accès goutteux en cas d’arrêt de l’allopurinol
- Explication de la possibilité de crises en début de traitement par allopurinol:
Intérêt de colchicine prophylactique. - Surveillance annuelle de la fonction rénale
- Correction des facteurs de risque cardiovasculaire