Névralgie trigéminale classique (ex Névralgie du trijumeau)

EANSFEMCSFNCMis à jour

Résumé des recommandations pour le généraliste

  • Les recommandations concernent la névralgie du trijumeau dans sa forme essentielle (idiopathique) de l’adulte
  • Critères diagnostiques stricts ICHD-3 de la névralgie du trijumeau
  • Normalité de l’examen neurologique entre les crises
  • Le bilan comporte toujours une IRM cérébrale 3T
  • Prise en charge de la névralgie du trijumeau par antiépileptiques (carbamazépine ou oxcarbazépine)

Névralgie trigéminale classique (NTC)
Ex névralgie du trijumeau.
Neuropathie crânienne douloureuse rare atteignant le nerf trijumeau qui évolue par poussées douloureuses chez des sujets d’âge moyen (60 ans) avec 2/3 de femmes. Les douleurs sont à l’origine d’une dégradation de la qualité de vie.
Un conflit vasculo-nerveux est le facteur causal majeur de la NTC, situé au niveau de la citerne pré-pontique entre une méga-dolicho-artère (artère cérébelleuse antéro-supérieure ++) et la portion centrale de la racine à l’origine de démyélinisation.
Les poussées durent 49 jours (médiane). 1/3 des patients n’a pas de récidive et des périodes de rémissions variables sont fréquentes.
Nerf trijumeau
Le nerf crânien mixte trijumeau est responsable de la sensibilité somatique de la partie antérieure céphalique et motrice des muscles masticateurs.
Il est composé de 3 branches: nerf ophtalmique V1, nerf maxillaire V2 et nerf mandibulaire V3 et son ganglion (dit de Gasser) est localisé dans le cavum de Meckel.

Épidémiologie de la névralgie du trijumeau

  • Maladie rare avec prévalence estimée à 10,7-20/100.000
  • Elle atteint le sujet d’âge moyen: +60 ans
  • Atteint préférentiellement les femmes: 2/3
  • 1/3 des patients n’ont pas de récidives

La névralgie trigéminale classique est souvent associée à une [hypertension artérielle](/recommandations/hypertension-arterielle/.

Abréviations

EAN
European Academy of Neurology
ICHD-3
International Classification of Headache Disorders 3rd edition
NTC
névralgie trigéminale classique (ex névralgie du trijumeau)
SEP
sclérose en plaques
SFEMC
Société française d’études des migraines et des céphalées
V1
nerf ophtalmique
V2
nerf maxillaire
V3
nerf mandibulaire

Tous les critères diagnostiques 13.1.1 de la classification ICHD-3 doivent être remplis pour le diagnostic de névralgie du trijumeau:

  1. Au moins 3 crises de douleur faciale unilatérale répondant aux critères 2 et 3
  2. Survenant dans une ou plusieurs branches du nerf trijumeau sans irradiation au-delà des branches du nerf trijumeau
  3. La douleur a au moins 3 caractéristiques parmi
    • Se reproduisant sous forme de crises paroxystiques durant une fraction de secondes à 2 minutes
    • Intensité sévère
    • Type décharge électrique, élancement, coup de poignard, piqûre
    • Provoquée par des stimuli inoffensifs sur le côté atteint du visage
  4. Sans déficit neurologique évident
  5. N’est pas mieux expliquée par un autre diagnostic ICHD-3

Drapeaux rouges devant une suspicion de névralgie du trijumeau

Signes devant faire évoquer une neuropathie trigéminale douloureuse (atteinte secondaire):

  • Troubles sensitifs persistants
  • Surdité ou problèmes auditifs
  • Faible réponse à la carbamazépine
  • Notion d’atteinte cutanée ou buccale
  • Atteinte isolée du nerf ophtalmique (V1) uni/bilatérale
  • Âge < 40 ans
  • Névrite optique
  • Antécédents familiaux de sclérose en plaques

La présence d’une de ces drapeaux rouges impose une consultation neurologique urgente.

La durée médiane des poussées douloureuses est de 50 jours.
Des rémissions spontanées sont possibles.

5 éléments diagnostiques majeurs:

  1. Décours temporel et tonalité de la douleur
    • Douleur unilatérale
    • strictement trigéminale (branche unique le + souvent, V2+++)
    • paroxystique de 3 à 20 secondes
    • avec période réfractaire brève
    • de début et fin brutales
    • insupportable
    • diurne
    • neuropathique
      Décharge électrique ou coup de poignard voire broiement, arrachement.
    • Salves de quelques fois par jour à quasi continuelles
    • En crise, figement avec une attitude douloureuse et grimaçante
    • La douleur peut être associée à un rictus de l’hémiface (tic douloureux de Trousseau)
    • Cette phase peut être suivie d’une phase vasomotrice (larmoiement, injection, hypersécrétions muqueuses).
  2. Topographie de la douleur
    Unilatérale (prédominance droite) et localisée sur le métamère du trijumeau.
    Initialement 1 branche (maxillaire V2 surtout) mais extension possible à 2 (V2+V3 surtout).
  3. Circonstances de déclenchement de la douleur
    • Déclenchement par stimulation du territoire concerné (zone gâchette) avec une latence avec extension progressive de la douleur. Déclenchement possible par le froid, vent, rire, mastication…
    • Comportements d’évitement: arrêt de rasage, maquillage, brossage des dents.
    • À l’inverse une pression très forte sur la zone gâchette peut éviter les accès.
  4. Intervalle libre entre les crises douloureuses
  5. Aucun déficit neurologique durant l’intervalle libre

Et 1 critère d’ordre thérapeutique: la très bonne efficacité (au moins initiale) de la carbamazépine.

Avec le temps, aggravation avec des périodes douloureuses de plus en plus longues et des accalmies plus courtes.

Territoires préférentiels

70% des patients ont une atteinte:

  • Nerf maxillaire (V2) surtout
    • La douleur débute à la lèvre supérieure, touche l’aile du nez et la gencive supérieure.
    • La zone gâchette classique est au sillon nasolabial de la lèvre supérieure.
  • Nerf mandibulaire (V3)
    • Douleur classiquement aux menton, lèvre inférieure ou arcade dentaire inférieure.
    • La zone gâchette classique est au rebord gingivo-alvéolaire de la mandibule.
  • ou l’association des atteintes V2 et V3

Elle prédomine à droite pour 58% des patients.

Examen clinique

Examen sensitivo-moteur exhaustif normal:

  • Sensibilité faciale et cornéenne
  • Force des masséter et temporaux
  • Aucun déficit neurologique autre

Toute anomalie de l’examen neurologique impose une consultation spécialisée

Autres diagnostics responsables de douleurs faciales à étayer:

  • Neuropathie trigéminale douloureuse (NTD)
    Atteinte identifiée sur le trajet du nerf trijumeau.
    • Avant 40 ans
    • Branche ophtalmique surtout
    • Peut être bilatérale
    • Pas de zone gâchette
    • Troubles sensitifs fréquents
      Hypoesthésie voire anesthésie.
    • Faible réponse initiale à la carbamazépine
    • Atteintes parfois associées
      Névrite optique, atteinte cutanée, lésions orales et du système nerveux.
  • Névralgie du nerf glossopharyngien (IX)
    Douleurs oropharyngées et/ou de l’oreille, possibles signes végétatifs (toux, éternuement, bradycardie voire syncope).
  • Névralgie du nerf intermédiaire (VII bis) ou du nerf facial (VII)
    Douleurs du conduit auditif externe (CAE). Possibles irradiations pariéto-occipitales, lacrimation, salivation.
  • Syndrome de Raeder
    ou syndrome paratrigéminal oculosympathique
    Douleurs de névralgie trigéminale avec ptosis, myosis voire l’atteinte d’autres paires crâniennes.
  • Céphalées SUNCT et SUNA
  • Algie vasculaire de la face
    Douleurs prolongées (15 à 180 minutes) sans décharge électrique et larmoiement intense. Évolution circadienne et circannuelle.
  • Céphalées en coup de poignard
    Douleur en coup de poignard de quelques secondes (parfois en salves) le + souvent en-dehors du territoire trigéminal et migratrice.
  • Epicrania fugax
    Céphalée en coup de poignard très brève (1 à 10 s) et migratrice à la surface du crâne (linéaire ou zigzag).

IRM cérébrale 3T

IRM cérébrale systématique pour la recherche d’un conflit vasculo-nerveux (NTC) ou le diagnostic différentiel (NTD).
Avec séquences spécifiques.

Prise en charge par un traitement médicamenteux de fond de première intention: carbamazépine ou oxcarbazépine.

Les antalgiques et AINS ne sont pas efficaces sur la névralgie du trijumeau

Hospitaliser en cas de poussée douloureuse non contrôlée.

Carbamazépine

Carbamazépine 100 mg matin, midi et LP 100 mg le soir, 30 minutes avant le repas.
Augmentation par paliers de 100 mg matin et 100 mg LP soir tous les 2 à 5 jours.

Débuter: carbamazépine (Tegretol® ou autre, non LP de préférence) 200-400 mg/j en 2-3 prises.
Augmenter jusqu’à suppression de la douleur (max 1600 mg/j) puis obtention de la dose minimale efficace.

  • Non LP de préférence sauf au coucher
  • Vérifier systématiquement les interactions
  • Bilan pré-thérapeutique
    NFS, bilan hépatique, ECG chez personne âgée.
  • Surveillance
    NFS, ASAT, ALAT, ionogramme hebdomadaires le 1er mois puis en signes d’appel (iono annuel).
  • Contre-indications
    BAV, hypersensibilité à la molécule/excipients, antécédent d’hypoplasie médullaire ou de porphyrie hépatique, traitement par télaprévir ou variconazole.
  • Effets indésirables principaux
    Hyponatrémie, induction enzymatique, vertiges, ataxie, somnolence, fatigue, diplopie, troubles de l’accommodation, confusion ou agitation.
  • Effets indésirables graves: aplasie, toxidermie grave
  • Développée spécifiquement pour traiter la NTC, soulagement complet initial pour 70% des patients

Oxcarbazépine

Oxcarbazépine 300 mg matin et soir.
Augmentation par paliers de 300-600 mg par semaine.

Débuter: oxcarbazépine (Trileptal® ou autre) 300 mg x 2/j.
Augmenter jusqu’à suppression de la douleur (max 1800 mg/j) puis obtention de la dose minimale efficace.

  • Bien mieux tolérée que la carbamazépine (3x moins d’effets indésirables) mais n’a pas l’AMM en France
  • Bilan pré-thérapeutique: ionogramme si IRC ou hyponatrémiants
  • Surveillance: ionogramme à J14 puis mensuel pendant 3 mois ou si point d’appel
  • Contre-indication: hypersensibilité à la molécule
  • Effets indésirables principaux: hyponatrémie (normalisation en réduction de dose), induction enzymatique, somnolence, ataxie, vertiges
  • Effets indésirables graves: aplasie, toxidermie grave

Autres traitements médicamenteux

Lamotrigine, phénytoïne voire gabapentine, prégabaline, topiramate, baclofène, toxine botulique relèvent exclusivement du neurologue.

Neurochirurgie

Le recours à la neurochirurgie pour la névralgie du trijumeau est discutée en consultation de concertation professionnelle.

Indications pour une NTC certaine par thermocoagulation, radiochirurgie ou décompression micro-chirurgicale:

  • Échec du traitement médical bien conduit
  • Échec de 3 molécules à doses efficaces dont la carbamazépine

graph TB
  suspNtc["Suspicion de
névralgie trigéminale classique"] --> exclusion("Signes d'alerte ?

- Âge < 40 ans
- Déficitaire
- Surdité/otologique
- Atteinte cutanée ou buccale
- Atteinte V1 isolée
- Névrite optique
- ATCD familial de SEP
- Carbamazépine inefficace") style suspNtc stroke:#4150f5, stroke-width:1px exclusion -- Non --> criteres("Critères cliniques

- ≥ 3 crises
- Douleurs stéréotypées avec critères
- Topographie stricte
- Circonstances de déclenchement
- Intervalle libre
- Non déficitaire
- Sans autre diagnostic compatible") criteres --> irm(IRM cérébrale 3T) irm -- "Normale
(sauf possible conflit
vasculo-nerveux)" --> ntc(NTC certaine) style ntc stroke:#4150f5, stroke-width:1px ntc --> traitement(Traitement
Carbamazépine ou oxcarbazépine) traitement --> escalade("- Suivi spécialisé
- Augmentation par paliers
- Recherche dose minimale
- Surveillance clinico-biologique") escalade -. Échec thérapeutique .-> echec(Avis neurologique) irm -- Anormale --> neuro(Avis neurologique) exclusion -- Oui --> neuro
Figure. Conduite à tenir devant une suspicion de névralgie trigéminale classique. Dr JB Fron d'après Donnet 2018 et Bendtsen 2019.